Vermines.

Dans le frimas du crépuscule, six silhouettes disparates soulevaient la poussière d'un pas lourd, au rythme du roulis d'un fût métallique rongé par la rouille.

L'une d'elle, ses yeux sombres commençant à luire tels ceux d'un félin à mesure que les ténèbres se propageaient, progressait au devant de la troupe en rampant, ses ongles crasseux et biseautés solidement implantés dans le sol.

Le teint albâtre qu'on devinait sous une tignasse poisseuse, puant la viande avariée, était ruiné par une cascade de sang séché, de la gorge jusqu'à la poitrine. Les loques dont elle disposait en guise de vêtement semblaient être totalement solidaires de sa peau, ayant trop partagé les mêmes fluides.

Lorsque les fortifications de la bourgade lui apparurent, OlO se figea puis émit d'étranges borborygmes, des murmures semblant provenir du plus profond de la terre, chtoniens, avant de lâcher une brève vocalise de rapace,  plus perçante et très désagréable à l'oreille, en tournant mécaniquement sa sinistre tête vers ses « camarades », comme une poupée désarticulée.

Ce fut à cet instant que le brasero passa à la verticale.

Poc. Alors qu'Olivia pose son propre bardas et passe un chiffon graisseux sur un gros bidon d'essence en vérifiant qu'il n'y a pas de fuite, ses pupilles au dessus de son bandana se dresse vers La Cloche qui vient de donner un coup sur le drôle de casque de la plus jeune du groupe. Sourcil dressé plus tard, elle se tourne un instant vers le colosse mutant du groupe:

- File-lui la même chose Ratrom. Si ça peut le faire pioncer plus vite ça nous fera des vacances.

Puis au débris qui se la coule douce, à qui il ne manque plus qu'un verre de Ricard pour passer pour le dernier des popoches dans un coin d'un stand du Tour de France:

- C'est pas parce qu'elle a à faire ses preuves et qu'elle est mieux protégée qu'un troufion d'infanterie au niveau de la tête que t'es autorisé à la bousculer, grosse merde va. Et surveille le proto xénomorphe débile pendant que je vais me présenter comme quelqu'un d'à peu près normal. T'as qu'à lui donner ce qui reste de l'autre pétasse qu'on a tabassée là-bas pour l'occuper, y'a supplément champignons pour la garniture vu l'odeur d'un des sacs.

Alors qu'Esposito se dirige seule vers l'enceinte, les mots de So il y a des lunes de cela lors d'une sorte de crise d'autisme soudaine lui reviennent à l'esprit, alors qu'ils mentionnaient les différents campements sédentaires. Enfin différents, trois cela ne fait pas beaucoup.
"Je v... Je veux pas retourner à l'école. Les embêteurs." "Je vais leur faire du mal."
Elle l'avait oubliée un court instant et faute de bagages psychanalytiques elle ne peut pas coller une mention précise sur ses troubles mentaux. Encore une raison pour ne pas tellement s'attarder et la liste est relativement longue, à bien y réfléchir.

Désormais à quelques mètres seulement des enceintes, elle fait glisser son bandana, lève ses mitaines pour montrer patte blanche et tourne lentement sur elle-mêle pour montrer qu'elle n'est pas armée. Une femme qui approche la quarantaine sans signe particulier, si ce n'est un teint méditerranéen. Après un raclement de gorge, tandis que ses bras retombent, elle s'adresse à Teresa d'une voix peu chaleureuse mais pas froide pour autant. Lasse est plutôt le terme.


- C'est moi, Olivia, je me déplace pas encore comme Gollum. Salut. On est venu pour troquer, oui, et basta. Trop d'inadaptés de mon côté. La ville, c'est pas pour eux.

Contrairement à certains qui  peuvent avoir une attitude de gêne, de raideur, de crispation, de recul ou carrément de rejet pour la familiarité de la bise, Olivia reste relativement impassible. Sa main qui allait monter pour une poignée se place juste sur un pourtour de sa hanche au lieu de retomber face au petit vent inattendu qui n'en est pas vraiment un. Esposito gratifie son interlocutrice d'un sourire qui se veut sincère mais ne transpire pas la joie ou l'amicalité, juste un peu de respect humain sous une forme de mimique faciale.

Également, la menace des armes n'a pas l'air de la perturber, comme si c'était...une habitude, ou quelque chose qu'elle conçoit comme normale. S'il y a un signe de nervosité perceptible, c'est bien dans ses regards discrets vers son propre camp qu'il faut le trouver.

Et à l'inverse d'une majorité de la mauvaise troupe, c'est une des seules à se laver quotidiennement avec des méthodes DIY, alors elle n'empeste pas vraiment. Tandis qu'OlO par exemple, la plus infecte, ferait passer l'odeur d'une charogne dans une fosse à merde pour du Chanel N°5. À force, elle s'est habituée aux effluves nauséabondes. Il n'y a pas que la pestilence à laquelle elle s'est habituée d'ailleurs ; elle croyait avoir tout vu pendant l'apocalypse, mais c'était un hors-d'oeuvre pour l'après.

- Ça m'étonnerait qu'elle ait vu le moindre film. C'est pas une évadée de l'asile, plutôt une...primitive avec des différences génétiques, je sais pas d'où elle sort. Je ne pense pas qu'elle va vraiment s'approcher pendant la nuit, il y a trop de dangers pour elle, juste un peu rôder de loin, parce que...ouais, elle est noctambule. La première chose qu'elle a fait quand on est sorti des décombres, c'est de lancer des cailloux vers le soleil...

Une légère pause. Changement de sujet soudain.

- Excuse-moi de te demander ça cash mais t'aurais pas de quoi d'avance rouler un joint ?

Indifférente aux sempiternelles aigreurs d'Olivia, la Patiente Zéro en puissance s'écarta du foyer naissant afin de rester dans l'ombre.

Statique en chien d'arrêt, plongée dans une intense transe interne, elle recevait l'appel de tout ce tas de chair vibrionnant derrière les murs. En un sixième sens.

Ces autoroutes d'artères et de veines qui ne demandaient qu'à s'épandre le long des rayons de la ruche et de son œsophage.

Cette centaine d'orbes oculaires au sein la colonie qui ne représentaient qu'oeufs crus pour renard en effraction dans un poulailler.

Ce nectar salé de la transpiration des travailleurs ou forçats.
Leur transit intestinal, ce qu'ils avaient mangé pour la dernière fois, la subtile variation de goûts des organes et de la barbaque humaine en fonction des habitudes alimentaires de chacun, de leurs métabolismes ou des conditions de leurs morts.

Grand appétit à l'idée des cervelles spongieuses. Lorsque la proie était encore vivante après le scalp, la lente consommation n'en était que meilleure.

Mais surtout cette cacophonie de rythmes cardiaques concentrés en une si petite portion de terre, qui l'achevèrent de la rendre ivre, provoquant un rejet abondant de grasse salive.

Frustrée par le dispositif de sécurité et l'absence apparente de brèche qui ne permettaient aucun forfait sur une brebis plus isolée que les autres, OlO quitta son poste d'observation pour foncer de nouveau vers le camp et attrapa à la volée le Sac à Gore. Là où se trouvait les derniers morceaux moisis d'une certaine Gianna, dont se délectaient d'autres vermines.

La viande fumée, c'était pour les Autres.